giovedì 8 novembre 2007

Les Origines de la Solution finale. L'évolution de la politique antijuive des nazis

Thomas Wieder, Le Monde, 2.11.07. Mais un problème se pose : que faire des deux millions de juifs qui sont tombés en quelques jours dans l'orbite du IIIe Reich ? Pour Hitler, en effet, le fameux "espace vital" ne peut se concevoir autrement que "judenfrei", c'est-à-dire "libre de juifs", selon la terminologie nazie. Il devient donc urgent de trouver une "solution" à la "question juive".

Un autre projet d'histoire globale de la Shoah est en cours d'écriture. Piloté par le mémorial de Yad Vashem, en Israël, il s'agit d'une entreprise collective qui devrait compter au total une quinzaine de titres couvrant la période de 1933 à 1945. Le premier de ces volumes, qui paraît aujourd'hui en français, s'intéresse à l'évolution de la politique antijuive entre 1939 et 1942. Sa rédaction a été confiée à Christopher Browning, un universitaire américain de 63 ans dont le grand public a surtout retenu l'étude qu'il consacra il y a une quinzaine d'années à un groupe de cinq cents Allemands "ordinaires" : ceux-ci, bien que sans passé criminel, participèrent en 1942-1943 à l'extermination de 80 000 juifs polonais (1).

C'est en septembre 1939, au moment où l'armée allemande envahit la Pologne, que commence le nouveau livre de Browning. Du point de vue militaire, le triomphe des nazis est sans appel. Mais un problème se pose : que faire des deux millions de juifs qui sont tombés en quelques jours dans l'orbite du IIIe Reich ? Pour Hitler, en effet, le fameux "espace vital" ne peut se concevoir autrement que "judenfrei", c'est-à-dire "libre de juifs", selon la terminologie nazie. Il devient donc urgent de trouver une "solution" à la "question juive".

Pendant trente mois, plusieurs "solutions" seront expérimentées. La première repose sur le principe de la mise à l'écart. Dans le prolongement de la politique de ségrégation appliquée en Allemagne depuis 1933, elle vise à séparer les juifs du reste de la population. Jusqu'à la fin de 1940, plusieurs plans seront échafaudés. Pendant quelques mois, Adolf Eichmann réfléchit ainsi à l'implantation d'une "réserve" juive dans la région de Lublin, dans l'est de la Pologne. Sans grand succès. Une autre idée sera ensuite étudiée : l'installation des juifs à Madagascar. L'île étant une colonie française, le projet trouve un certain crédit après la défaite de la France en juin 1940. Mais il sera rapidement abandonné.

Tout change en juin 1941 avec l'entrée en guerre de l'Allemagne contre l'URSS. En quelques semaines, les troupes allemandes déferlent sur la Biélorussie, l'Ukraine et les Etats baltes. Cette fois les nazis entendent tirer la leçon du précédent polonais. L'échec des plans d'expulsion imaginés au cours des mois précédents les conduit à envisager une "solution" plus radicale pour les juifs présents sur leurs nouvelles terres de conquête : leur liquidation systématique.

Commence alors ce que Raul Hilberg a appelé l'époque des grands "nettoyages meurtriers". Partout, les mêmes scènes de terreur se répètent : rassemblés dans les villages, les juifs sont ensuite amenés vers un site d'exécution où ils creusent une fosse avant d'être fusillés, soit debout soit après avoir été obligés de se coucher sur les corps de ceux qui sont déjà morts. L'efficacité de cette "méthode standardisée d'assassinats de masse" est redoutable. Fin 1941, 500 000 à 800 000 juifs ont déjà été exécutés de la sorte.

Entre-temps, une autre méthode de mise à mort a été testée : le gazage dans des camions ou des baraquements de fortune. Expérimentée à une époque où la politique antijuive n'obéit pas encore à un "plan préconçu, logique et centralisé", l'idée plaît à Himmler, le chef de la SS, qui s'inquiète des effets secondaires des fusillades sur le psychisme de ses hommes... A l'automne 1941, les réunions s'enchaînent au sommet de l'Etat pour étudier la question. Fin octobre, "le régime nazi a franchi le pas décisif", estime Browning, qui retrace l'infernal concours d'arbitrages qui conduit à la concentration des juifs dans des centres dévolus à leur extermination. Il faudra six mois pour passer de la "conception" à la "mise en oeuvre" de cette politique. Au printemps 1942, le complexe d'Auschwitz-Birkenau devient opérationnel. Plus d'un million de juifs y seront assassinés.

"Je vais à nouveau être prophète, avait déclaré Hitler le 30 janvier 1939. Si la juiverie financière internationale (...) réussissait à précipiter encore une fois les peuples dans une guerre mondiale, alors la conséquence n'en serait pas la bolchevisation de la terre et la victoire de la juiverie, mais l'anéantissement de la race juive en Europe." Trois ans auront été nécessaires pour réaliser cette sinistre prophétie. De cette marche vers l'irréversible, Christopher Browning livre la chronique la plus exhaustive et la plus à jour qui ait été publiée en français.



Les Origines de la Solution finale. L'évolution de la politique antijuive des nazis (septembre 1939-mars 1942), de Christopher R. Browning. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacqueline Carnaud et Bernard Frumer, Les Belles Lettres, 632 p., 35 €.

(1) Des hommes ordinaires a été réédité en mars 2007 (Tallandier "Texto", 366 p., 8 €).

Thomas Wieder

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