C’est le sud israélien, 2007. L’abandon et la pauvreté ressortent avec plus d’intensité quand on voit la prospérité du centre. Dans aucune autre région de l’Etat, les habitants ne sont si nombreux à dépendre des services d’allocations sociales. Quasiment la moitié de la population du sud vit d’allocations mensuelles versées par l’Etat. On ouvre des soupes populaires dans presque toutes les localités, les associations caritatives poussent comme des champignons.
« Depuis que je suis à Ofakim, je ne me rappelle pas une misère pareille », dit un employé de la municipalité qui a requis l’anonymat, « même dans les années 50 et 60, quand il n’y avait pas grand-chose, les gens partageaient le peu qu’il y avait. Aujourd’hui, vous voyez une vraie pauvreté. Des gens qui n’ont rien à manger. C’est un Etat normal ? D’un côté, vous avez un nombre sans cesse croissant de milliardaires et de millionnaires, et de l’autre côté vous avez un nombre sans cesse croissant de gens qui ont faim. En vérité, cette situation devrait éveiller de l’inquiétude dans le pays. »
Anarchie
Les signes de pauvreté sont criants à chaque coin de Sderot. La ville paraît prise dans un processus d’effondrement. A cause des roquettes Qassam certes, mais tout autant du fait de l’abandon, de la saleté et de la puanteur qui se sont répandues partout. Personne ne s’en soucie plus. Les nerfs de la ville, dont les habitants manœuvrent entre détresse économique et peur pour la vie de leurs enfants, sont ébranlés.
Pas de sourires ni de rires. Seulement des regards de colère et de désespoir. L’armée s’est mobilisée pour remonter le moral et a établi, cette semaine, un quartier général au centre de la localité. Des soldats et des soldates se baladent dans les rues de la ville pour essayer de faire baisser l’anxiété. Le commandement du front intérieur a mis sur pied une espèce de poste de commandement avancé pour les pauvres, composé de quelques officiers et soldats. Le poste est protégé comme il faut et entouré de briques de toutes parts.
Le poste de commandement de l’arrière est coincé entre l’espace du marché improvisé et le jardin d’enfants de l’association Na’amat près duquel un Qassam a atterri lundi dernier. Les clients du marché, pour la plupart des personnes âgées et des immigrés qui ne parlent pas l’hébreu, circulent entre les étals et les monceaux de détritus. Quasiment aucune marchandise ne coûte plus de cinq shekels [~ 0,88 €]. Des centaines de familles anciennement établies sont parties, définitivement ou jusqu’à ce que la colère passe.
Il en est qui souhaitent qu’un Qassam atteigne un jardin d’enfants ou une école pour autoriser d’entrer dans Gaza et il en est qui continuent d’espérer qu’on aboutisse à un accord qui ramène la santé de l’esprit dans ce lieu misérable. En attendant, Sderot demeure sans dirigeants.
Cette anarchie a donné naissance à des initiatives sauvages. Une association de parents annonce l’ouverture des jardins d’enfants, une autre la fermeture des écoles. Une troisième appelle à l’ouverture de toutes les institutions et une association de parents qui vient juste de se créer exige la fermeture de toutes les institutions.
Le maire de la ville, Eli Moyal, a abandonné son poste suite à l’enquête dont il fait l’objet pour irrégularités financières. Ces vacances forcées semblent arrivées à temps pour lui, devançant une retraite à laquelle il se préparait à l’approche des nouvelles élections qui doivent se tenir dans la localité d’ici un an. Après deux mandats orageux, ses forces se sont épuisées. Son audience à la télévision ne s’est pas reflétée dans le rapport des habitants à son égard. Au cours des deux dernières années, un fossé s’est créé entre le maire et ses administrés. Il leur a manifesté du mépris pour leurs récriminations et eux du mépris pour son caractère distant et ses départs fréquents pour les bastions de Tel Aviv.
Lundi matin, deux inspecteurs de la police sont arrivés dans les bureaux de la mairie. Il n’y avait personne pour les accueillir. Après avoir longtemps attendu, ils sont entrés dans le bureau de Moyal et ont commencé à le vider. Depuis lors, Moyal n’a pas reparu dans les bureaux de la mairie. Il y a peu de chances que ce personnage haut en couleurs dont l’essentiel de la gloire est venu des Qassam qui volaient sur Sderot depuis Beit Hanoun, revienne à la mairie dans un avenir prévisible.
Révolution
Plus au sud, plus loin encore de la prospérité israélienne, Ofakim a tenté de se remettre de l’offensive de l’Etat. Mardi dernier, les employés municipaux ont été invités au traditionnel cocktail d’avant les fêtes [Nouvel an juif, Kippour, Souccot - NdT]. D’un pas lent et hésitant, ils sont entrés dans la salle de réunion et y ont pris place. Quelques bouteilles et des plateaux de bourekas étaient posés sur la table.
Exactement au même moment, deux hommes revenaient de l’agence de la Banque Hapoalim située non loin de la mairie, et entraient dans le bureau du maire. Ilan Saguy, qui appartient au Ministère de l’Intérieur et qui a été nommé à la tête de la ville, et Ze’ev Recanati, le comptable qui le seconde, sont à partir de maintenant les signataires légalement autorisés pour la ville. La signature du maire, Avi Asraf, qui a été démis de ses fonctions une semaine plus tôt, a été effacée comme si elle n’avait jamais existé.
Au cours du cocktail, les employés se sont présentés à leurs nouveaux patrons et se sont entendu annoncer que la fête était finie à Ofakim. Le Ministère de l’Intérieur a lancé dans la ville une révolution légale, remplissant les habitants d’appréhension. Des centaines de familles vivent d’un salaire versé par la municipalité et de nombreuses autres familles lui sont liées indirectement, par le biais de relations douteuses avec les gens qui ont été élus à sa tête.
Tout de suite après la révocation des autorités élues, Viviane Alfasi, la secrétaire du maire démis, est entrée et a sorti du bureau armoires, dossiers, médailles, coupes et diplômes d’honneur. Sur l’un des murs est restée une photo encadrée d’où vous regarde le chef du gouvernement. Au bas de la photo, celui-ci a écrit : « A Avi Asraf, maire de la ville. Chaleureuses salutations et cordiale poignée de mains. Amicalement, Ehoud Olmert ».
C’est ce bureau qui s’est acquis la réputation dans tout le sud de symbole de la dégénérescence qui a saisi des politiciens avides de pouvoir dans plusieurs villes du sud. Ce bureau qu’au plus fort de la crise économique qui a frappé sa ville il y a huit ans, le maire Yaïr Hazan faisait dessiner comme un bureau de chef d’Etat. L’argent coulait à flot pour faire acquérir par l’occupant de ce bureau le statut qu’il méritait. Aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de la gloire et du style. Plus de jacuzzi, plus de salle d’attente, plus de vestiaire.
Hazan a perdu son fauteuil en grande partie à cause de son penchant pour l’ostentation et c’est Avi Asraf, du même parti que lui, qui en avait hérité. Il y a quelques jours, il a été renvoyé chez lui avec tous les membres du conseil. Viviane Alfasi a beaucoup de difficultés à cacher sa douleur, elle qui espérait que des politiciens prendraient la défense de son patron mais qui a découvert qu’on ne pouvait pas compter sur eux quand on a besoin d’eux. Asraf qui s’attendait à ce que les dirigeants de son parti se mobilisent en sa faveur, a pour sa part découvert que la plupart d’entre eux n’avaient pas même pris la peine de répondre à son appel à l’aide.
Les inspecteurs du Ministère de l’Intérieur qui ont examiné le fonctionnement de la municipalité sont restés abasourdis devant la manière dont la ville était gérée. Un déluge de traitements de faveur à la limite de la légalité, des menaces cachées ou ouvertes, un conseil paralysé par la multitude des intrigues et un maire devenu incapable d’administrer la localité.
C’est la raison pour laquelle la décision a été prise de suspendre la démocratie locale au profit de fonctionnaires nommés, afin de rétablir dans la ville une administration saine et de la transparence. Il est douteux que ce traitement permette de soigner la maladie d’Ofakim. Une ville de 26.000 habitants, dont la moitié se trouve dans l’incapacité de gagner sa vie, qui vivent dans une ville n’offrant pour ainsi dire pas de lieux de travail et où beaucoup parmi ceux qui travaillent ont des emplois temporaires.
Il semble que l’Etat ait abandonné tout ce qui touche au projet concernant les localités du sud. La crise médiatisée qui frappe Sderot, Ofakim et Arad cache la situation effrayante qui sévit dans tout le sud. Exception faite de Netivot qui connaît une prospérité économique grâce au pèlerinage sur la tombe de Sages et à la présence de cours de rabbins, dans la plupart des localités on n’observe pas la moindre croissance. A Arad où, là aussi, les élus de la ville ont été démis de leurs fonctions, le prix des maisons et des appartements a chuté de dizaines de pourcents. Tous ceux qui le peuvent s’en vont. La plupart des vétérans et des fondateurs sont déjà partis depuis un moment.
Panique
Mais le pays porte les yeux sur Sderot. Une ville qui est devenu un symbole de l’impuissance d’Israël face à Gaza, en dépit de l’étranglement imposé à Gaza depuis le désengagement. S’il n’y avait cette atmosphère de guerre, il est à peu près sûr que l’Etat aurait dépêché un comité désigné d’office comme il l’a fait pour Ofakim, Arad et Yerouham. De toutes les localités du sud oubliées des Israéliens, cette ville bombardée pèse sur la conscience nationale comme une blessure qui refuse de cicatriser. C’est peut-être la raison pour laquelle certains esprits fatigués ont proposé de couper le courant à Gaza ou de lui couper l’eau, par intermittence bien sûr.
En tout cas, Sderot a échappé à une catastrophe, cette semaine. Lundi matin, quelques minutes après l’ouverture des classes, les sirènes d’alarme se sont fait entendre. La ville a perdu la tête. Les parents, fous d’inquiétude, ont couru aux jardins d’enfants. La rumeur s’est répandue dans la ville qu’une roquette avait touché le jardin d’enfants de Na’amat, près du centre. Des cris de détresse fendaient l’air chargé de tension.
« Je ne me souviens pas avoir jamais vu ça », dit Shalom Halevy qui vit depuis fort longtemps dans cette ville, « les gens couraient comme des fous, cherchant un abri. Je ne pourrais pas vous décrire la panique que c’était. Vingt mille personnes courant en tous sens. »
La roquette a atterri à un mètre et quelques de la crèche, pulvérisant un arbre dans sa chute et faisant un grand trou dans le sol. Les enfants en pleurs ont été ramenés chez eux dans un accompagnement de cris de panique et de colère. Le lendemain, le trou est devenu un lieu de pèlerinage pour les touristes et les visiteurs. Un groupe de journalistes ukrainiens a contemplé le trou une heure durant pendant qu’une employée de la mairie, russophone, accompagnait cette contemplation d’un commentaire sur le miracle qui s'était produit. Ce jardin d’enfant est fréquenté par les enfants d’immigrants du Caucase arrivés en Israël dans les années 90 et envoyés habiter le quartier de Neveh Eshkol.
L’aspect de ce quartier est à ce point fané et terne qu’il a l’air d’avoir été établi il y a 100 ans. Dans le sud, la plupart des bâtiments publics affectés au logement ont été construits à la hâte et sans soin par des entreprises publiques – Amigour et Amidar – et ont été abandonnés, après peu d’années, par les plus anciens immigrants au profit des nouveaux arrivants. Les immigrants d’Afrique du Nord les ont abandonnés aux immigrants de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) qui les abandonnent pour faire de la place aux immigrants d’Ethiopie. Sur de nombreux balcons est fixée une affiche « A vendre ».
Bientôt Sderot mettra ses misères de côté et se plongera jusqu’au cou dans la campagne pour l’élection des autorités locales qui aura lieu dans environ un an. L’expérience du passé nous enseigne que ce sera une campagne acharnée. Déjà maintenant des gens ont surgi, qui profitent de l’ambiance lourde pour se gagner les esprits. A peu près tous ceux qui rêvent de s’asseoir dans le fauteuil du maire se sont montrés aux médias en proposant leur solution au problème de Sderot. En attendant, les habitants courent, terrorisés, dans une ville en train de sombrer pendant que l’Etat manifeste une impuissance épouvantable. On peut vraiment douter que priver Gaza d’eau ou d’électricité puisse aider Sderot alors que l’Etat s’est dégagé de ses responsabilité
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Version anglaise : Israel's deep, desperate South
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(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
Source traduction : Palestine Solidarité
http://www.palestin
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